Vingt ans après la première mosaïque Space Invader, des joueurs un peu cinglés sont prêts à traverser la planète pour « flasher » ces œuvres de Street Art. Leur auteur, Invader, a réussi à transformer ses créations en un jeu geolocalisé de plusieurs centaines de milliers de joueurs.
Invader est un artiste français qui colle ses petites mosaïques sur les murs des villes depuis 1996. Si les premières œuvres représentaient les aliens pixélisés et mythiques du jeu de Taito, les thématiques ont largement évolué depuis et son terrain de jeu est passé des rues de Paris à celles du monde entier. On peut tout autant trouver un superbe Dr House de 10m de haut dans le XIII arrondissement de Paris, le Dude* de The Big Lebowski à Los Angeles ou un Astro Boy à Tokyo.
Vagues d’invasions après vagues, il y a aujourd’hui plus de 3700 SI (Space Invaders) dans 77 villes. Ce nombre est malheureusement théorique puisque les œuvres sont fréquemment volées ou détruites. Le Street Art est en effet de plus en plus à la mode et la cote de l’artiste explose, entrainant une marchandisation de ses mosaïques volées. Sur les 1380 SI posés dans Paris (à la date de rédaction de cet article), seuls 1050 sont visibles. Mais depuis quelques années, des équipes de fans font des « réactivations » et reposent à l’identique les SI détruits, selon les méthodes de l’artiste. Cela permet de compenser un peu les destructions.
En plus de ses œuvres sauvages, Invader expose ses créations dans des musées et publie des plans et livres qui décrivent et recensent les invasions des villes. Sans compter les rééditions, il y a sept livres avec Paris, Los Angeles, Londres/UK, Rome, Ravenne, Miami et Hong Kong. Il y a un tel engouement aujourd’hui que ces livres sont épuisés en quelques jours et se revendent dix fois leur prix. En plus du côté artistique de ces ouvrages, un des intérêts pour les fans est qu’ils contiennent des cartes approximatives des mosaïques. Les emplacements ne sont en effet pas communiqués par Invader. A chaque nouvelle pose et nouvelle photo sur son compte Instagram, la communauté part à la recherche du SI, croise les informations pour finir par le trouver. D’autres cartes sont créées par les fans, les coordonnées se transmettent secrètement d’équipes en équipes, pour réussir à flasher…
Flash Invaders
Les jeux geolocalisés existent depuis des années, et si le plus connu du grand public est toujours Pokémon Go (avant la sortie prochaine de Harry Potter Wizards Unite du même studio), le plus ancien est le Geocaching avec ses 19 ans d’existence. Il y a d’autres projets plus confidentiels, comme cet étrange Flash Invaders, ses 70.000 joueurs et 3 millions de flashs (EDIT: Début 2023, 280.000 joueurs et 17 millions de flashs).
Ce jeu a été lancé sur iPhone et Android en 2014 et a pour but de prendre en photo, ou flasher, les œuvres d’Invader et gagner des points. Les SI ont une valeur de 10 à 100 points suivant leur intérêt, leur originalité, leur taille, auxquels s’ajoutent 100 points supplémentaires pour une nouvelle ville flashée. Un top est affiché directement sur l’appli, et la course au classement permanente, que ce soit au niveau mondial ou entre copains.
Pour s’assurer du bon emplacement du joueur et accorder les points, l’application utilise à la fois la position géographique du téléphone et un système de reconnaissance d’images développé par une entreprise Française, LTU. Quand le réseau est défaillant, l’appli peut stocker localement les flashs et ainsi permettre au joueur de les envoyer plus tard. Mais malgré toutes ces technologies mises en œuvre, certains essaient de tricher et faire croire qu’ils sont ailleurs, le bannissement temporaire en est souvent la punition…
Il est possible dans Flash Invaders et sur le site d’Invader de visualiser en temps réel les flashs des autres joueurs et de surveiller d’éventuelles nouveautés ou réactivations. L’incroyable fréquence des flashs et leur répartition mondiale donne une idée de l’engouement autour de ce jeu.
Drogue ?
Après quelques flashs en dilettante en 2016 et 2017 lors de mes sorties dans Paris ou mes vacances à l’étranger, j’ai fini par plonger totalement dans l’univers des Space Invaders en 2018. Alors que je pensais pouvoir résister et ne pas cumuler les SI avec mes autres addictions ludiques, ce jeu a finalement gagné.
Préparer, organiser des balades pour flasher le plus grand nombre de SI devient fréquent, que ce soit seul ou avec des copains. Il y a à la fois le plaisir de la découverte de l’œuvre dans son « habitat naturel » et le coté purement ludique de voir ses points monter, de dépasser -ou se faire dépasser par- ses amis. Franchir des seuils et aussi excitant, atteindre les 10.000 points, entrer dans le top 2000, 1000 ou 100… Cette course est évidemment beaucoup plus simple quand on habite sur Paris et ses 28.000 points (en ne comptant pas les détruits), mais il y en a dans toute la France !
La phase d’après est de se rendre dans des endroits improbables, de s’introduire dans un terrain surveillé par la police pour flasher les neuf SI* sous les lettres HOLLYWOOD à L.A ou de tenter ceux qui sont sous l’eau à Cancun. Mais qui pourrait bien vouloir faire ça ?
[EDIT 01/2022] Écoutez le podcast Already Flashed sur FlashInvaders et les mosaïques d’Invader !
[EDIT 11/2020] Récit de quatre années de jeu, de recherches, de rencontres : FlashInvaders, une folie de 4 ans !
Tous les articles sur FlashInvaders et les Invaders. Et pour en savoir plus, le site d’Invader et Invader Spotter.
* Le Dude et les 9 SI de Hollywood sont détruits. Remerciements à Arnokovic pour la relecture. Crédits Photos : © Invader pour la grande image et Sébastien Mougey pour les autres illustrations.
Commentaires